Lorsqu’ Irene sentit la lumière du jour s’insinuer sous ses paupières gonflées, elle sut aussitôt que la journée allait être longue. Elle tenta vainement de se protéger, étendant ses bras dans l’air poussiéreux de la chambre, brassant les rayons de lumière crue de ses doigts endormis.
Quand elle se rendit compte que ses tentatives demeuraient infructueuses, elle était déjà bien trop éveillée pour espérer se rendormir. Aussi, elle extirpa sa tête de l’amas de draps épars aux relents de cigarette froide, et elle jeta ses jambes par-dessus le lit dans un grognement résolu.

Machinalement, avec une précision digne d’un rituel religieux, elle entreprit de recréer l’étonnant miracle qui, chaque matin, la faisait passer de l’état de loque endormie à celui de jeune femme alerte et (presque) présentable. Elle glissait à peine ses pieds trop maigres dans ses Crocs bordeaux que déjà l’alarme du four lui signalait qu’elle était en retard.

Rien de bien inhabituel, en réalité, mais il fallait avouer que pour un premier jour de boulot, ça la faisait mal. Elle balaya ses inquiétudes d’un revers de main, se répétant qu’elle pouvait toujours jouer la carte de la blairotte campagnarde qui ne sait pas lire un plan ou qui s’est laissé surprendre par la circulation. Pour faire bonne figure, et puisque de toute façon, elle allait être en retard, elle alluma sa troisième clope de la journée et partit en quête d’une tasse propre.

Elle gaspilla environ une demi-douzaine de secondes à inspecter le contenu d’une tasse encore pleine du café froid de la veille, avant de l’avaler dans un haussement d’épaule. Après la grimace de circonstance, elle jeta sa tasse au font de l’évier et, enfilant un gros gilet de laine par-dessus sa blouse, attrapa son sac et sortit en claquant la porte.
Un coup d’œil à sa montre lui confirma qu’effectivement, elle allait être en retard de dix bonnes minutes.

Etouffant un juron dans le col de son gilet, Irene enfila son casque de moto, sans se soucier de ses cheveux qui épousaient naturellement la forme de la protection, et bientôt la rue déserte était emplie d’un rugissement de moteur.

Et tant pis pour les voisins, pensa Irène dans un soupire satisfait.

Elle hésita à rallumer une clope avant d’entrer dans l’enceinte du centre, mais étant donné qu’elle était déjà bien en retard, ce n’était peut-être pas la chose la plus avisée à faire en cet instant précis. Elle s’engouffra dans le Hall d’entrée et navigua pendant quelques minutes avant de trouver le bureau des infirmières. Elle était déjà en tenue aussi elle évita les vestiaires et se contenta de jeter son gilet sur une chaise inoccupée.

Avisant la personne qui, au vu de sa mine agacée et de son uniforme, devait être chargée de lui faire visiter les lieux, elle força sur son visage un sourire déconfit ; faisant de son mieux pour prendre cet air contrit, et légèrement benêt qui l’avait sorti de bien des situations auparavant.

« Sincèrement désolée pour le retard, je ne suis pas encore habituée au trajet, je me suis laissée surprendre par la circulation. Je tâcherais d’anticiper à l’avenir ! J’espère que vous ne m’avez pas trop attendue ?»

Elle passa une main nerveuse dans ses cheveux, aggravant l’état de perpétuel chaos dans lequel ces derniers se trouvaient, en partie à cause du casque de sa moto. Puis, elle se souvint qu’elle était censé se présenter, et s’ébroua précipitamment pour tendre une main hésitante vers son interlocutrice.

« Je suis Irene Woods. Je devais commencer aujourd’hui. Dans… hm, ce service ? »

Après tout, il n’y avait pas de mal à passer pour une simplette si ça pouvait aider à se tirer d’affaire. En plus, en général, aux idiotes, on leur laissait la paix.

Et la paix, à Irene, ça lui convenait parfaitement.